Un nouvel article sur la douleur publié dans la revue La Vie des idées de Bénédicte Lombart, cadre de santé, spécialisée dans la douleur de l’enfant et l’hypnoanalgésie, docteur en philosophie pratique et éthique hospitalière et formatrice SPARADRAP.
Les outils d’évaluation de la douleur de l’enfant semblent parfois conduire à la sous-estimer. Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans cette sous-estimation ? Que révèlent-ils de notre rapport à l’enfant ?
La douleur, au-delà de ses dimensions physiologiques, existentielles et anthropologiques, constitue un vaste champ d’études, notamment sous l’angle philosophique et, plus étonnamment peut-être, dans sa dimension politique. Si cette réflexion concerne les adultes, la douleur chez l’enfant amplifie ces interrogations. Lorsque l’enfant vit l’expérience de la douleur, sa vulnérabilité, déjà prégnante, s’accroît. Parallèlement, cette situation met en question la capacité des adultes à écouter et accueillir sa souffrance.
La prise en charge de la douleur est un sujet de préoccupation pour l’ensemble de la communauté soignante, mais ce n’est pas le seul. Le sujet de la douleur peut être noyé parmi un lot de préoccupations médicales. L’ordonnancement des centres d’intérêt clinique est souvent guidé par la spécialité du service où l’enfant est hospitalisé. Il n’est donc pas simple pour les professionnels de tout conjuguer et de prendre en compte l’ensemble de la situation médicale de l’enfant. Ce constat a d’ailleurs guidé la création des structures transversales [1] dont la vocation est d’apporter un complément d’expertise dans les secteurs hyperspécialisés. L’exercice au sein d’une équipe dédiée à l’analgésie pédiatrique amène un regard extérieur sur les pratiques, notamment sur la démarche d’évaluation, ce qui suscite des interrogations.
Par définition, l’évaluation dans le domaine de la douleur vise à la quantifier. Cependant, l’étape préalable essentielle consiste à reconnaître son existence, à la repérer. Or on relève encore un défaut d’évaluation systématique comme le montre une large étude américaine (Anderson et al. 2021). Cette étude révèle que la douleur motive 55,6 % des consultations aux urgences pédiatriques, mais que les scores de douleur ne sont rapportés que dans moins de 50 % de ces cas. La douleur de l’enfant n’est donc pas systématiquement évaluée, même lorsqu’elle est le motif de consultation.
Au-delà de l’absence de recours systématique à des outils d’évaluation validés, on constate que certains professionnels transforment parfois la démarche d’évaluation. C’est ainsi qu’il est possible d’entendre dans le discours des professionnels une inversion du paradigme d’évaluation. L’énergie du soignant semble alors se concentrer, non pas sur la démonstration que l’enfant souffre, mais sur la validation qu’il n’a pas mal, ou pas autant qu’il pourrait le laisser entendre. Tout se passe comme si, dans certaines circonstances, les soignants cherchaient à attribuer les comportements observés ou les plaintes exprimées à des causes telles que la peur, l’anxiété ou d’autres émotions, plutôt qu’à une « véritable » douleur... lire la suite