Un enjeu à court et long terme
Cette approche complémentaire aux moyens antalgiques est nécessaire à double titre :
- pour s’assurer que les premiers soins se passent bien, pour éviter des phobies ultérieures,
- pour rassurer les enfants inquiets ou refusant des soins (malgré une proposition de moyens médicamenteux réputés efficaces), pour conserver ou renouer la confiance.
L’enjeu est de réaliser le soin dans un contexte le plus serein possible et bénéfique à tous : enfant, parents et soignants, de prévenir ou de limiter au maximum la contention de l’enfant et d’éviter une mémorisation négative du soin qui risquerait de compromettre la réalisation des prochains.
Repérer les centres d’intérêts de l’enfant
Différents canaux pour capter l’attention de l’enfant
Chaque enfant est sensible aux stimuli visuels, auditifs, kinesthésiques (le toucher), olfactifs ou gustatifs (pour simplifier ou s’en souvenir on dit aussi «le VAKOG»).
Selon sa personnalité, son âge, les expériences de sa vie, l’enfant privilégie l’un ou l’autre canal qu’il s’agit d’activer parce qu’il sera plus efficace qu’un autre au moment du soin. Pour le repérer, il s’agit de donner le choix à l’enfant au travers d’un ensemble de jeux, de propositions, lui permettant d’indiquer aux soignants celui qu’il préfère.
Cependant, en associer plusieurs peut renforcer l’efficacité de la captation de son attention.
Recueillir les informations
C’est aux adultes d’être force de proposition. L’enjeu est de repérer quels sont les sujets qui intéresse l’enfant et quels sont ses canaux sensoriels privilégiés.
A ce titre, et surtout lorsque l’enfant est jeune et/ou ne s’exprime pas bien les parents ont un rôle primordial à jouer. Ils connaissent leur enfant et ses centres d’intérêts : musique préféré, personnages, livres, BD, séries, sports, loisirs, animaux, souvenirs de vacances…
Ainsi, dans le cadre d’un soin ou d’une chirurgie programmée, il est par exemple possible de recueillir au préalable et par écrit ces informations auprès des parents par le biais d’un petit questionnaire.
> Voir l’initiative de la chirurgie ambulatoire de Cholet
Le bénéfice est double :
- pour les parents, les frères et sœurs qui en complétant le questionnaire auront le sentiment d’être partenaires de la situation, de faire le lien entre son univers familier et celui de l’hôpital,
- pour les professionnels, qui peuvent entrer plus rapidement en relation avec l’enfant.
Être force de proposition
La situation est un peu différente quand les professionnels connaissent déjà l’enfant et ont pu repérer ce qui a bien fonctionné lors des soins précédents. Mais lorsque c’est la première fois, il est important de disposer d’un panel important de moyens de stimulations pour être sûr de trouver le plus adapté. En particulier pour les jeunes enfants, car ils passent facilement de l’un à l’autre alors que les plus âgés parviennent à se concentrer plus longtemps sur le même objet.
S’organiser avant le soin
Il est préférable de commencer la distraction avant le début du soin, avant l’installation du matériel et pas juste au moment où le soin va se faire.
C’est évidemment à adapter selon les situations, mais il est préférable qu’une seule personne soit responsable de la distraction de l’enfant :
- soit un des parents s’il le souhaite et s’en sent capable,
- soit un soignant. Dans ce cas, il est conseillé qu’il ne fasse pas le soin. L’expérience montre que dans de nombreux services, c’est un rôle souvent joué par les aides-soignants ou auxiliaires de puériculture. Les éducatrices de jeunes enfants peuvent aussi apporter leur contribution, surtout lorsqu’elles entretiennent une relation privilégiée avec un enfant.
Selon le type de distraction, la personne responsable pourra, bien sûr, faire participer les autres personnes présentes (autres soignants, parents…), par exemple chanter, répondre à des questions, dessiner, attraper des bulles, commenter un livre…
Bien choisir ses mots pendant le soin
Difficile de capter l’attention de l’enfant vers quelque chose de positif, si régulièrement on le ramène à la réalité du soin en lui expliquant ce qu’on lui fait. D’autant plus que les infirmières sont souvent formées à prévenir le patient de ce qu’elles font, du moment de la piqûre, etc.…
Que l’enfant ait exprimé le souhait ou pas d’être informé du déroulement du soin, il est toujours possible d’informer sur le geste tout en faisant de la distraction. Il faut par contre être attentif au vocabulaire employé, utiliser certains mots plutôt que d’autres, par exemple «je vais prélever» au lieu de «je vais te piquer»…
L’idéal est d’essayer d’associer les sensations que l’enfant va ressentir pendant le soin à l’histoire qui est raconté, au livre qui est lu (quelque chose qui colle quand il faut décoller le pansement, quelque chose qui est froid et qui mouille quand on désinfecte…) et d’utiliser des métaphores (le petit hérisson qui pique au moment de la piqûre…).
Les différents moyens de distraction
Des boites de jeux
Dans les services, qui accueillent des enfants de 0 à 18 ans (y compris les SMUR et les services de HAD), on peut schématiquement définir trois grandes catégories d’âges (les 0/3 ans, les 4/10 ans, les plus de 11 ans) et constituer des «boites de jeux» en fonction.
Néanmoins, certains jeux peuvent intéresser quasi tous les âges, et ceux qui sont multi sensoriels ou intrigants sont plus susceptibles de détourner l’attention des enfants (son + mouvement + lumière + plus contact étonnant…).
> Voir par exemple, la liste de jeux sélectionnés et la façon de les présenter de l’équipe du CHU de Rennes.
Certains fournisseurs (enseignes ou vente par correspondance) disposent d’un large choix de jouets :
Hop’toys, Rompa, Snoezelen, Nathan, La Grande Récré, Fnac Eveil et jeux, Natures et découvertes, Haba
> Pour plus d’informations, voir la liste des fournisseurs divers.
Pour confectionner simplement une boîte de jeux qui contienne des objets et jouets adaptés à tous les enfants accueillis dans un service, voir aussi le fichier "Les essentiels de la distraction" réalisé par l'association.
> Télécharger Les essentiels de la distraction
Quelques critères de choix pour les jeux
- La facilité d’utilisation : afin de garantir au mieux l’utilisation systématique des moyens de distraction par tous les professionnels, les objets doivent être simples d’utilisation : temps d’installation court, rangement pratique et toujours au même endroit, ne nécessitant pas ou peu de formation…
- L’hygiène : la possibilité de désinfecter les objets de distraction proposés est un critère très important lors de l’achat des objets et jeux. Pour s’adapter aux bébés qui apprécient de pouvoir porter les objets à leur bouche. Beaucoup d’objets en plastique peuvent facilement être désinfectés à l’Anios alimentaire® ou au Surfanios®. Mais, il est également possible d’avoir certains objets que seuls les professionnels manipulent (marionnettes à doigts, sifflets…).
- Le coût : il peut être très variable selon l’ambition du projet, et ne nécessite pas obligatoirement un budget important.
- Les disparitions : dans une certaine mesure, elles sont inévitables (et il vaut mieux le savoir pour ne pas en être blessé ou se décourager), il est préférable d’acheter d’office plusieurs exemplaires du même jeu. Même si l’efficacité n’est pas garantie, on peut par précaution, apposer une étiquette, une marque, un tampon afin de bien identifier que le jeu appartient au service.
Quelques conseils
- Il est indispensable de prévenir l’enfant que ces jeux appartiennent au service et doivent pouvoir aider tous les enfants et qu’ils ne pourront donc pas les garder et les ramener chez eux.
- Il est préférable d’avoir pu jouer avec tous les jouets, non seulement pour pouvoir expliquer à l’enfant comment s’en servir mais surtout pour y prendre du plaisir, car il sera communicatif auprès de l’enfant, qui se l’appropriera encore plus volontiers.
Tester les jouets c’est aussi repérer, pour quels soins ils sont les plus adaptés. Par exemples, le champ de vision d’un enfant est réduit lors d’une ponction lombaire, et il est difficile d’utiliser un jeu qui nécessite ses deux mains lors de la pose d’un cathéter.
D’autres moyens de distraire les enfants lors des soins
Des équipements
Lorsqu’ils sont fixes, ils restent toujours disponibles et ne nécessitent pas d'installation particulière ou complexe avant le soin.
- Un écran de télévision ou un ordinateur pour visionner des films, un lecteur de CD, un lecteur MP3, une console de jeux. Dans ce cas, le service peut s’assurer de disposer d’un choix suffisamment large de films, musique, jeux pour différentes tranches d’âges.
- Un tableau magnétique effaçable à sec avec différents magnets à déplacer et des feutres pour dessiner.
> voir l’initiative du service de pédiatrie du CH de Paimpol
- Des équipements permettant de projeter des images sur les murs ou au plafond, des panneaux de variations de couleur, des colonnes à bulles, des tapis interactifs, gerbes de fibres optiques… (Type matériel Snoezelen®).
> voir l'initiative du Centre de Médecine Physique et de Réadaptation de l’Enfance - Flavigny sur Moselle
- Des équipements pour voir des vidéos en 3D.
- Trouver un fil conducteur, un thème de décoration et de jeux peut renforcer l’ambiance ludique. Par exemple l’univers de Tintin à l’hôpital de jour de l’hôpital Pellegrin à Bordeaux.
Des stratégies de diversion
- Surprendre agréablement les enfants avec un objet, un jeu intrigant, une activité qu’ils ne connaissent pas. Ce qui est nouveau est toujours très attractif !
- Certains enfants ou adolescents peuvent apprécier qu’on leur lance un défi «Je parie que j’aurai fini le soin avant que tu aies trouvé les 7 différences sur l’illustration !» ou qu’on leur propose un concours qui peut concerner les différentes personnes présentes : «Qui saura mieux dessiner une tour Eiffel sur le tableau ?...», «Qui connait la blague la plus bête ?».
- Faire exprès de se tromper pour faire réagir l’enfant : en expliquant quelque chose, en comptant une série de chiffres, en transformant les paroles d’une chanson connue… Ou prévenir l’enfant que vous allez volontairement vous tromper ou modifier des paroles et qu’il doit repérer l’erreur ou le changement.
- Faire semblant de se contredire, de se chamailler entre collègues.
- Détourner le rôle du matériel médical (l’écran du cardioscope fait des vagues ou des montagnes, le masque d’anesthésie devient celui de l’aviateur…).
Se procurer les moyens de distraction
Une fois que le projet est élaboré, que la sélection des moyens de distraction est réalisée, les fournisseurs repérés (voir une liste de fournisseurs) c’est sans doute la partie la plus simple. Les éducateurs de jeunes enfants peuvent faire bénéficier de leurs compétences pour la sélection des jeux.
Certains équipements peuvent requérir un budget conséquent, mais un budget de l’ordre de 300 à 500 € peut déjà offrir de multiples possibilités et l’argument financier peut difficilement être considéré comme un frein valable, à la mise en place d’un tel projet.
Pour le financement plusieurs approches sont possibles : soit déterminer les moyens de distraction en fonction des ressources disponibles (budget du service, dons…) soit établir un budget du projet, puis rechercher les fonds nécessaires auprès de fondations locales ou nationales (type Pièces jaunes, Kiwani’s ou Rotary club, d’associations de parents…), d’entreprises locales (banques, assurances…), des collectivités (mairies, Conseils régionaux…) etc.
Obtenir le soutien des responsables et valoriser les pratiques
- Du cadre de santé qui pourra travailler sur le sujet, l’intégrer dans l’organisation des soins, la gestion de l’équipe en faire un objectif collectif et donner les moyens pour y parvenir.
- Du ou des médecins du service afin de pouvoir introduire cette pratique dans les soins, en complément de leur rôle en terme de prise en charge de la douleur provoquée par les soins. Obtenir le soutien médical n’est pas toujours chose facile, mais cela est possible en démontrant que cela fonctionne : par exemple, en faisant un test sur un soin particulier ou une tranche d’âge et en objectivant les résultats et les retours qu’en font les enfants, grâce aux échelles d’évaluation de la douleur.
A l’heure actuelle, cette pratique n'a pas encore une « visibilité administrative ». L’activité peut néanmoins être valorisée lors de la certification des établissements grâce aux critères 12a et 19a : par exemple, par l’effort réalisée par l’institution sur les plans de formation, par une trace écrite dans le dossier de soin des enfants (score de douleur, distraction utilisée), par les enquêtes de satisfaction auprès des usagers…
Voici ces critères du manuel de certification des établissements V2014 concernés :
- Critère 12a : Prise en charge de la douleur
Il fait partie des 13 critères du manuel V2010 érigés en Pratiques Exigibles Prioritaires (PEP) :
Il convient d’améliorer « la prise en charge des douleurs des populations les plus vulnérables » d’utiliser « les modalités de traitement médicamenteux et l’utilisation des méthodes non pharmacologiques pour une prise en charge de qualité », « de mettre en place l’éducation du patient à la prise en charge de la douleur ».
- Critère 19a : Population nécessitant une prise en charge particulière
L’enfant est une personne en constant développement et il doit non seulement recevoir les soins adaptés à son état, mais aussi les recevoir dans des conditions et un environnement où son développement pourra se poursuivre et les conséquences psychologiques de l’hospitalisation être minimisées.
La prise en charge hospitalière des enfants et des adolescents nécessite avant tout que les professionnels et tous les intervenants soient formés aux spécificités de la prise en charge des enfants concernant l’accueil, l’information, la relation triangulaire parent-enfant-soignant, l’évaluation psychologique des conséquences de la maladie et de l’hospitalisation, la présence des proches, la prise en charge de la douleur, les besoins éducatifs et culturels…
Formaliser, créer les protocoles, des références communes
De nombreux services pédiatriques utilisent la distraction. Mais cette pratique est plus ou moins bien structurée. Elle dépend, le plus souvent, d'une initiative personnelle qui ne fait pas encore l'objet d'une pratique collective, protocolisée et institutionnalisée. Le risque est qu’elle garde un caractère accessoire et non indispensable. Pour inscrire le projet de façon durable dans le service, le rôle du cadre de santé et du médecin chef de service est essentiel. Ils traduisent cette pratique de soins en protocoles, formalisent les décisions, encadrent l'équipe en fonction de cet objectif, et suivent la mise en place du projet.
La création d'un protocole peut prendre du temps, mais il est nécessaire pour que la distraction soit intégrée dans l'organisation du travail, qu’elle soit partagée par l'ensemble de l'équipe et être transmise aux nouveaux qui la découvrent. Par ailleurs, cette démarche peut aussi mettre en évidence et clarifier la démarche de prise en charge de la douleur.
Auteurs
Françoise Galland, directrice et co-fondatrice de l’association SPARADRAP.
Avec la collaboration de : Bénédicte Minguet, Docteur en psychologie, responsable de l’humanisation des soins et du travail, Clinique de l’Espérance CHC, Liège, Belgique
et Myriam Blidi, chargée des projets et responsable de la formation à SPARADRAP.
Mise à jour : septembre 2018